9 juillet 2016

TENTATIVES DE LUCIDITÉ


« La jeunesse est pourrie jusqu’au fond du cœur. Les jeunes gens sont malfaisants et paresseux. Ils ne seront jamais comme les jeunes d’autrefois. » peut-on lire sur une poterie babylonienne vieille de 5000 ans. Le débat n’est donc pas nouveau.

Considérant que l’on ne peut établir de hiérarchie entre les êtres par définition non-égaux et que l’inné et l’acquis interagissent plus qu’ils ne s’additionnent, Albert Jacquard mise sur l’éducation pour faire confiance à cette jeunesse qui, quoiqu’il en soit, prendra le relai. Il revendique une société où tout serait école, de même qu’on ne contraint pas les enfants à un séjour à l’hôpital de quelques années pour leur constituer un capital de santé. Réduction du temps de travail, loisirs et années sabbatiques, associés à un système éducatif mondialisé dans lequel les enseignants dépendraient de l’UNESCO par exemple, permettraient « d’inventer l’homme ».

La science est le propre de l’homme puisque lui seul est capable de s’interroger sur la réalité et d’imaginer des réponses. L’évolution des découvertes scientifiques oblige à redéfinir ponctuellement des notions telles que la vie, le temps, la liberté (par opposition au déterminisme). 
Quant aux techniques, leur avancée est telle qu’il est désormais fondamental de les envisager d’un point de vue éthique. Déjà, en 1 139, le concile de Latran jugea immoral l’utilisation de l’arbalète (enfin, seulement à l’encontre d’autres chrétiens !).

Albert Jacquard applique le bon sens de son raisonnement à tout les domaines.
Notre monde est désormais « fini » car nous savons que nous ne pourrons coloniser d’autres planètes et que l’utilisation que nous avons de la notre conduit inexorablement à l’épuisement de ses richesses.

Il invite à tirer les conclusions de cette lucidité. Il plaide pour une culture de la paix, non plus définie comme un état de non-guerre mais comme une coopération dynamique entre états qui profiteraient de leurs différences culturelles pour assurer leur sécurité et leur évolution.
Il pourfend les fondements de l’économie libérale sur la croyance que la confrontation des égoïsmes aboutit à un système de prix qui représente un optimum collectif.

S’il insiste sur les mutations de notre société et les prédations commises par l’homme, jamais il ne sombre dans le désespoir mais appelle à prendre en compte les générations à venir, à fonder une éthique démocratique et une communauté planétaire.  En somme, il suffirait de cesser de penser en économiste mais enfin, en humaniste.

Albert Jacquard remporte son pari de la lucidité sans jamais céder à la facilité des lieux commun. Ainsi, il distingue la liberté du simple caprice et de l’isolement et affirme que c’est en participant à la liberté des autres que l’on construit la sienne, refusant l’axiome ordinaire qui l’arrête au contraire à celle des autres.

Chapitré en un rythme bref imposé par le format des chroniques radiophoniques quotidiennes (initialement diffusées sur France Culture de 2001 à 2002), ce recueil se veut comme une mise en commun d’une prise de conscience personnelle et une nécessité de se confronter aux idées de l’autre. Confrontons, donc.



TENTATIVES DE LUCIDITÉ
Albert Jacquard
254 pages – 16,25 euros
Éditions Stock/France Culture – Paris – janvier 2004
En poche aux Éditions du Livre de Poche – novembre 2005
221 pages – 5,90 euros

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