30 janvier 2017

OCCUPY


Noam Chomsky, théoricien du langage et militant politique libertaire, considère que le mouvement Occupy Wall Street est la première grande riposte populaire depuis les années 1970. Ses participants réclament un mode de vie différent, fondé sur la maximisation des valeurs humaines plutôt que celle des biens de consommation.

 Aux manifestants de Boston et avant de répondre à leurs questions, Chomsky dresse un rapide rappel historico-économique. Il explique que lors de la Grande Dépression des années 1930, les syndicats ouvriers et les chômeurs ont su s’organiser. En réponse et sous la pression populaire, Roosevelt a du instaurer le New Deal. Dans les années 1970, les bénéfices de l’industrie se sont effondrés entrainant des délocalisations pour sauver la rentabilité. L’économie est alors entrée dans une phase de financiarisation à outrance, enclenchant un cercle vicieux de concentration des richesses, générant colère, ressentiment et frustration. Le coût des campagnes électorales a explosé, financées par le secteur privé pour favoriser réformes fiscales et déréglementations.
Adam Smith, dans La Richesses des Nations avait anticipé cette tentation d’investissement à l’étranger, stratégie rentable mais préjudiciable à l’Angleterre, mais il comptait sur le nationalisme des entrepreneurs pour sauver le pays du « naufrage » qu’est aujourd’hui la mondialisation néolibérale. David Ricardo établissait le même constat et espérait aussi que le désastre pouvait être évité.

Aujourd’hui, le monde se divise entre ploutocrates et précaires, les 1% et les 99% comme le scande Occupy.
En 2005, la banque d’investissement Citigroupe, vautrée dans la corruption et renflouée par les contribuables sous Reagan, a distribué une brochure aux investisseurs expliquant clairement qu’il fallait miser sur les riches et que les autres devaient se débrouiller.
Alan Greenspan, Président de la Banque Fédéral américaine sous Clinton, expliquait que la prospérité reposait sur « l’insécurité croissante du salariat » qui limiterait les revendications.
Le chroniqueur financier Martin Wolf expliquait que le secteur financier parasitait les marchés à la manière d’une larve qui se nourrit aux dépens d’un organisme hôte.
Occupy est le premier signe de résistance depuis les années 1970. La grève avec occupation est l’un des modes d’action les plus efficaces parce qu’elle précède l’autogestion. En 1977 les employés de l’aciérie de Yougstown s’étaient organisés pour racheter leur usine, refusant sa fermeture décidée par US Steel. Le projet échoua par manque de soutien de l’opinion publique mais servit d’exemple. Des centaines d’usine sont aujourd’hui détenues et auto-gérées par les travailleurs et la communauté locale.

Par ailleurs la politique extérieure menée par l’Administration américaine augmente considérablement le risque constitué par l’arsenal nucléaire. De même, le déni face au changement climatique pourrait avoir des conséquences dramatiques définitives. Si la croissance doit passer par la destruction de l’environnement, par l’émission de gaz à effets de serre, par l’abandon des terres agricoles, elle ne peut que nous conduire au bord du gouffre.

Noam Chomsky considère que la seule solution est de descendre dans la rue pour tenter de convaincre les gens, de prendre la parole, d’écrire. Seule une mobilisation et une organisation de la société civile pourra inverser la tendance. C’est justement ce que propose le mouvement Occupy.
Lorsque les classes dirigeantes ont compris qu’elles ne pourraient plus contrôler le peuple par la force, elles ont inventé les relations publiques, nouvel arsenal pour manipuler les esprits, pousser à la consommation, promouvoir la passivité, l’apathie, le divertissement.
Il conseille donc d’acquérir l’expérience et le savoir-faire qui permettront d’élaborer une stratégie efficace. S’il faut se choisir des représentants, il faut alors pouvoir les démettre de leurs fonctions sans tomber dans un système de contrôle et de hiérarchie. L’instauration de réseaux d’entraide et d’une démocratie participative est un projet que peuvent comprendre les gens. La démocratie véritable n’a rien d’utopique.

Le système de santé américain est une aberration. Son coût par habitants est deux fois plus élevé que dans d’autres pays développés alors que ses performances sont déplorables. Géré par l’État, il repose sur un système privatisé déréglementé dysfonctionnel. Le rendre performant permettrait de résorber le déficit budgétaire. De même, le budget de l’armée pourrait être considérablement réduit  sachant qu’il est équivalent aux dépenses de toutes les armées du monde ! Seule une société civile organisée et motivée serait capable d’imposer et de mettre en œuvre ces deux exemples de reformes. Ceux qui ont le pouvoir ne le cèderont que si on les oblige. La majorité de la population doit prendre conscience de l’impossibilité d’engager le moindre changement dans le cadre institutionnel existant.

Aristote considérait la démocratie comme le moins mauvais des systèmes politiques mais ne pouvant être viable que dans une société relativement égalitaire. Les élections sont une mascarade.
David Hume constatait déjà au XVIIIème siècle que le pouvoir était toujours, dans une société féodale, une dictature militaire ou une démocratie parlementaire, aux mains des gouvernés, non des gouvernants. Gramsci a montré que l’hégémonie culturelle était établie par des systèmes de pouvoir.

Noam Chomsky, dans un dernier texte, rend hommage à Howard Zinn, rappelant qui a transformé notre regard sur l’histoire.

Cette analyse de la corruption du pouvoir politique et de la fracture sociale qu’elle a provoqué reste d’un grand optimisme. Noam Chomsky croit en des prises de conscience et de parole, des mobilisations comme Occupy pour entrainer des bouleversements.




OCCUPY
Noam Chomsky
Traduit de l’anglais par Myriam Dennehy
122 pages – 15 euros
Éditions L’Herne – Paris – janvier 2013


Sur Occupy Wall Street, voir aussi, de David Graeber






Du même auteur :

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