19 février 2017

MANIFESTE POUR UN XXIe SIÈCLE PAYSAN


L’économiste et sociologue Silvia Pérez-Vitoria dénonce avec ce manifeste une société industrielle qui écrase les individus, les mettant sous dépendance et contrôle pour les transformer en sujets économiques. Livre après livre, elle dénonce la disparition des paysans et soutient leur combat.

 Elle exprime ses colères, contre la marchandisation et la financiarisation des phénomènes naturels, contre l’accaparement des terres agricoles pour produire des agro-carburants, des cultures d’exportation ou à des fins simplement spéculatives, contre l’industrie extractives dont 75% des sociétés à caractère international ont leur siège au Canada, contre le verrouillage des échanges agricoles en lieu et place de « libéralisation des marchés » fondée sur la théorie des avantages comparatifs (dans l’échange, chacun y gagne !) alors que la très forte concentration des multinationales laisse peu de place à la « libre concurrence » (quatre entreprises dominent le commerce des matières premières agricoles et contrôlent 75% du marché des céréales), contre la criminalisation de l’utilisation des semences et des préparations naturelles traditionnelles alors que les effets négatifs des pesticides sont reconnus au plan sanitaire et écologique, contre la transformation de l’élevage en production animale, contre le formatage intellectuel d’experts qui prônent une idéologie du développement ne laissant aucune place aux paysans.

Elle livre des exemples pour le moins édifiants, en Europe mais aussi en Afrique et en Amérique Latine.
Les paysans du Ghana abandonnent leur production de tomates face à l’importation de sauces tomate chinoises et italiennes bon marché et se retrouvent ouvriers agricoles dans les Pouilles !
Le Mexique qui était autosuffisant en 1960 importe aujourd’hui 50% de son alimentation (un tiers de son maïs, 50% de ses haricots rouges et 80% de son riz) à cause du Traité de libre-échange signé avec le Canada et les États-Unis.

L’imbrication entre l’économie et l’écologie est telle que les marchés du carbone, par exemple, institués par le protocole de Tokyo en 1997, ne sont qu’un leurre pour créer de nouveaux marchés lucratifs.


Silvia Pérez-Vitoria dénonce ensuite ce qu’elle considère comme des impostures.
Les fondateurs de l’agriculture biologique avaient inscrit leur démarche dans des principes philosophiques et sociaux forts : critique d’une science de laboratoire coupée de la réalité de terrain, valorisation des connaissances paysannes, prise en compte des processus naturels, remise en cause du primat de l’économie et de l’argent. Mais l’idéologie du développement, de la compétitivité, de la performance, ainsi que la survalorisation de la technique ont aussi contaminé les agriculteurs biologiques.
La question de la faim dans le monde constitue une véritable pierre d’achoppement dans un système de surabondance alimentaire puisqu’aujourd’hui un milliard d’êtres humains ne mangent pas à leur faim. Il existe un lien direct entre le processus de modernisation agricole et l’extension de la faim due à une triple exclusion : des terres, du travail et du marché.

Elle refuse les propositions de « transition » et suggère plutôt des ruptures, en commençant par le rejet du dogme du développement. Pour les économistes, un pays développé est un pays sans paysans. Le développement durable n’est qu’un nouvel oxymore qui drape la rentabilité du voile d’une écologie alibi. Il ne faut plus laisser aux experts le soin de définir nos besoins fondamentaux. Elle propose également de rompre avec la toute puissance des sciences et des techniques, de revenir aux savoirs et savoir-faire paysans qui ont su inventer pendant des milliers d’années des moyens de se nourrir.

Partant du constat de la perte de maîtrise sur nos conditions de vie, elle préconise de retrouver des formes d’autonomie pour sortir de la logique de marché en citant l’exemple des A.M.A.P. françaises, en restaurant le dialogue des savoirs. Elle préconise la reconquête des territoires, seul moyen de rétablir l’autonomie des processus de production à grande échelle, prenant l’exemple du Chiapas où les Zapatistes produisent principalement des cultures vivrières avec une forte prégnance des savoirs traditionnels. Cette dissidence territoriale reste cependant ouverte sur le monde.


L’auteur exprime l’urgence d’infléchir le cours des choses. Notre société de consommation a réduit la notion de bonheur à la possession d’objets. Les forces économiques et militaires, indissolublement liées, ont pris le contrôle des territoires et des richesses de la planète. Partant des initiatives existantes, il est temps d’amorcer la reconquête. Sans doute faudra-t-il choisir entre industrie et agriculture. La nature reste indispensable à la survie de l’humanité. Silvia Pérez-Vitoria compte sur une force sociale, appuyée sur les paysans, pour ébaucher de nouvelles formes de société. Elle cite souvent en exemple les campagnes de Via Campesina, organisation internationale décentralisée qui regroupe des millions de paysans à travers le monde et défend une agriculture durable à petite échelle comme moyen de promouvoir la justice sociale et la dignité :
Sa connaissance du secteur, avec un champ de vision mondial, alimente ses réflexions qui ne peuvent qu’enrichir les nôtres.




MANIFESTE POUR UN XXIe SIÈCLE PAYSAN
Silvia Pérez-Vitoria
194 pages – 18 euros.
Éditions Actes Sud – Collection « Questions de société » – Paris – octobre 2015

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