24 juillet 2017

ENSEIGNEMENT D’UNE RÉBELLION : La Petite école zapatiste

En août 2013, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a organisé la première cession de la Petite École zapatiste. Jérôme Baschet et Guillaume Goutte y ont tout deux participé. Tandis que le premier livre un témoignage brut de son expérience, le second propose une analyse de cette semaine de discussion, d’échange et d’apprentissage.

Parce que la pensée révolutionnaire, ses théories et ses pratiques, se doivent de s’ouvrir à des apports nouveaux et d’être régulièrement (pour ne pas dire sans cesse) remises en question, repensées, réactualisées si on veut qu’elles puissent adhérer aux réalités de notre temps et de notre géographie, qu’elles évitent les écueils (ghettoïsation, transformation en doctrine ou en profession de foi,…), Guillaume Goutte a décidé d’aller « à la rencontre d’un vieil Antonio » pour nourrir, approfondir, repenser ses conceptions d’une nécessaire transformation sociale radicale.
Le territoire zapatiste est partagé en cinq zones, cinq caracoles, conseils de bon gouvernement créés en 2003, instances de coordinations horizontales chargées de faire le lien entre différents municipios (ou communes) autonomes, lesquels rassemblent plusieurs centaines de communautés.
Guillaume Goutte raconte la fête chaleureuse des dix ans des caracoles puis son accueil au Centre Indigène de formation intégrale : l’Université de la Terre à San Cristobal de Las casas où lui sont remis quatre manuels. Il part ensuite avec son votan qui va l’emmener dans sa communauté, l’accueillir dans sa famille. Avec lui il va participer aux travaux des champs, étudier et échanger. La Petite école propose en effet un « enseignement » au plus prêt de la pratique de l’autonomie puisqu’il est dispensé par ses acteurs mêmes sous forme de conversations. Nous avons droit à un compte-rendu minutieux et factuel de ces cinq journées.


Jérôme Baschet a également participé à cette première session et livre son analyse de cette expérience de compréhension de la construction de l’autonomie, de réflexion sur sa portée, apprentissage politique avec sa dimension humaine et émotionnelle.
La Petite école n’est pas limitée à une salle de classe mais étendue à la communauté. La relation unilatérale et hiérarchisée entre maître et élèves est remplacée par un apprentissage ouvert, collectif et multidirectionnel. Il s’agit de « retourner la tortilla anthropologique » : au lieu d’étudier les indiens, les invités sont leurs étudiants. Par le tête-à-tête entre chaque élève et son votan qui guide la lecture des manuels et peut répondre aux questions à partir de sa propre expérience, le processus de transmission s’effectue dans une logique de partage. Le votan, « gardien et cœur du peuple » est à la fois la méthode, le plan de travail, la maîtresse-maître, l’école, la salle de classe, le tableau, le cahier, le crayon, le bureau, la récréation, l’examen, la remise du diplôme, il est « un grand collectif concentré en une personne ».

Les projets subissent toujours plusieurs allers et retours entre conseil, assemblée générale de zone et villages avant d’être considérés comme adoptés. S’ils ne sont pas analysés et discutés par les communautés, ils sont voués à l’échec.
Les bons gouvernements ne peuvent commander que dans la mesure où ils obéissent à la volonté exprimée par les communautés. C’est l’expression d’une conscience claire des risques de séparation et de substitution, inhérents à toute délégation de la capacité collective de décider, même lorsqu’il s’agit d’un gouvernement du peuple. C’est le mandar obedeciendo qui diffère radicalement de la logique de l’appareil d’État, en tant que mécanisme de dessaisissement de la capacité collective de décision et de concentration de celle-ci au bénéfice de l’appareil bureaucratique et des « experts » de la chose politique.

La construction de l’autonomie n’est en aucun cas l’application de recettes préétablies. L’expérience d’autogouvernement se présente comme une démarche permanente d’essai/rectification, qui cherche dans la pratique, la manière d’apporter des solutions spécifiques et concrètes aux problèmes rencontrés. C’est ce que les zapatistes nomment « chercher la manière », buscar el modo : « Tout ce que nous faisons est un pas ; il faut voir si cela fonctionne et, sinon, il faut le changer ». Le chemin n’est pas tracé mais il se fait en marchant. C’est la logique du caminar preguntando (avancer en posant des questions). La relation entre la théorie et la pratique ne subordonne pas la seconde à la première.

Affirmer l’impossibilité d’une réalisation achevée de l’autonomie garantit contre le risque de l’utopie normative, définie selon des normes abstraites et préalables. Chaque génération peut modifier ce qu’elle a reçu de la génération précédente.

L’un des quatre manuels est consacré à la résistance autonome. Il s’agit de résister aux provocations gouvernementales, directes ou indirectes, de ne pas céder à la tentation de réagir de façon violente pour ne pas offrir le prétexte d’une intervention plus frontale.

Le processus de construction de l’autonomie « met Hegel au tapis ». Elle ruine les fondements de la conception de l’État moderne selon laquelle c’est le propre du peuple que de n’être pas en condition de se gouverner par lui-même. L’État est une machine à produire et à amplifier la séparation entre gouvernants et gouvernés. À l’exact opposé, la pratique de l’autonomie s’emploie à donner au mot démocratie le sens radical sans lequel il continuera de sonner creux : le pouvoir dans son exercice même.

Ce condensé d’expérience est d’une limpidité exemplaire. Il contribuera sans aucun doute à prolonger la volonté de contagion à l’origine de cette transmission.






ENSEIGNEMENT D’UNE RÉBELLION
La Petite école zapatiste
Jérôme Baschet et Guillaume Goutte
122 pages – 8 euros
Éditions de l’escargot – Paris – Novembre 2014



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