28 juillet 2017

LA RÉVOLUTION RUSSE

Acteur et témoin des révolutions russes, théoricien, Vsevolod M. Eichenbaum, dit Voline (1882-1945) revient sur le processus complexe qui a conduit la Russie aux bouleversements de 1905 et 1917, tout en insistant sur leur spontanéité.
 
Au XIXe siècle, la Russie est une monarchie absolue, s’appuyant sur une aristocratie militaire et foncière, sur un clergé nombreux et dévoué et sur une masse paysanne de plus de cent millions d’âmes, illettrées et fidèles au Tsar. 90% de la population vit de l’agriculture. Les terres appartiennent à l’État ou aux « pomestchiks ». Les paysans sont leurs serfs. Ils attendent tout du Tsar, de leur « petit père », c’est pourquoi les quelques révoltes sous le règne de Nicolas 1er (1825-1860) sont essentiellement locales, même si elles sont de plus en plus nombreuses. Si le régime, fondé sur un féodalisme agraire, se renforce en État bureaucratique et policier, l’essor de l’industrie et de l’enseignement permet le développement d’une importante classe intellectuelle particulièrement critique vis-à-vis de l’absolutisme et du servage.
Alexandre II, face à la montée des mécontentements, abolit le servage en 1961 et délègue certains pouvoirs aux municipalités. Pourtant, la jeunesse intellectuelle ne peut s’en contenter. De nombreux attentats sont commis contre des hauts fonctionnaires entre 1870 et 1880. Le mouvement Narodnaïa Volia (Volonté du peuple) assassine le tsar le 1er mars 1881.
Alexandre III tente d’étouffer toute contestation en restaurant l’État policier et bureaucratique mais l’apparition du marxisme et d’un prolétariat industriel aboutit à la formation du Parti ouvrier social-démocrate russe en 1898 puis, en 1901, à la naissance du Parti socialiste révolutionnaire qui réclamait la socialisation immédiate et complète des terres.
Le pouvoir fonde un mouvement autour du Pope Gapone pour tenter de canaliser et contrôler la colère des ouvriers à Saint-Pétersbourg mais il fut rapidement débordé : première grève ouvrière dans les usines Poutilov en décembre 1904 qui devient rapidement grève quasi générale. Une pétition est rédigée pour être remise au Tsar le 9 janvier 1905. La foule ne pourra atteindre le palais d’hiver : des milliers de personnes furent tuées. Ce jour-là, le tsar tua lui-même sa « légende », ce que n’avait réussi l’attentat de 1881.
Voline raconte la création du premier soviet ouvrier qu’on lui proposa de diriger en lui fournissant de faux papiers pour le déclarer ouvrier. Ce qu’il refusa. Ce conseil siégea régulièrement, publia une feuille d’information régulière et dirigea le mouvement ouvrier à Saint-Pétersbourg. Trotski y entra rapidement et en devint secrétaire.

La colère grandit, les troubles se multiplièrent pendant le reste de l’année 1905. Début octobre la grève paralysa le pays au point de faire céder le gouvernement. Le 17 octobre, le Tsar publia une liste de promesses : libertés politiques, constitution, création d’un parlement, la Douma, ce qui brisa l’élan révolutionnaire. Puis, trouvant de l’argent notamment grâce à l’emprunt français (emprunt russe), il put réprimer, interdire la presse, arrêter les responsables. Suivirent douze années caractérisées par la dégénérescence du système absolutiste et la rapide et profonde prise de conscience des masses.
Le 25 février, criant « Du pain ! », le peuple descend spontanément et massivement dans la rue à Pétrograd. Le 27, soutenu par l’armée, il déborda la police, pris d’assaut la Douma où se constitua un gouvernement provisoire qui fit signer son abdication au Tsar. De février à octobre, les gouvernements qui se succédèrent, selon un modèle de monarchie constitutionnelle, furent impuissants face aux problèmes économiques et internationaux (la guerre). Des soviets se mirent en place partout.
Voline explique que les bolcheviks l’on emporté sur les anarchistes parce que l’État et le gouvernement paraissaient indispensables aux masses, que la littérature anarchiste était nettement moins diffusée en Russie, que les cadres bolcheviks réfugiés et formés à l’étranger étaient beaucoup plus nombreux, rentrés dès février. Il défend les anarchistes contre le reproche de n’avoir pas, renonçant momentanément à leur négation des partis, de la démagogie, du pouvoir, agit « à la bolchevik », c’est-à-dire de former une sorte de parti politique et de tâcher de prendre provisoirement le pouvoir, pour organiser ensuite l’anarchie. « On est anarchiste parce qu’on tient pour impossible de supprimer le pouvoir, l’autorité et l’État à l’aide du pouvoir, de l’autorité et de l’État et des « masses entraînées ». Dès qu’on à recours à ces moyens - ne fut-ce que « momentanément » et avec de très bonnes intentions -, on cesse d’être anarchiste, on renonce à l’anarchisme, on se rallie au bolchevisme. » Enfin, il accuse les bolcheviks d’avoir emprunté leurs mots d’ordre aux anarchistes : la révolution sociale, l’appel à la paix, la terre aux paysans, les usines aux ouvriers, en les dénaturant, ce qui entretint la confusion.

Les anarchistes envisageaient une transformation en dehors de toute organisation étatiste. Les bolcheviks voulaient au contraire un état omnipotent, un gouvernement tout-puissant, un pouvoir dictatorial.
Les anarchistes pensaient que les masses devaient quitter le front, proclamant leur refus de se battre stupidement pour les intérêts capitalistes, leur dégoût pour cette boucherie, ce qui entraîneraient les soldats des autres pays et la révolution mondiale. Les bolcheviks étatistes voulaient une paix négociée diplomatiquement.
Les anarchistes comptaient mettre à disposition de ceux qui voulaient les cultiver, les terres, et les usines, aux coopératives ouvrières, tandis que les bolcheviks voulaient qu’elles deviennent propriétés de l’État.
Les anarchistes voulaient vraiment donner tout le pouvoir aux soviets.

Assuré du soutien des marins de Cronstadt, des troupes de Petrograd et des masses travailleuses, le Comité central du parti bolchevik fixe la date de l’insurrection au 25 octobre. Sans action ni combat, le gouvernement "provisoire" de Kerenski est cerné puis arrêté. Voline raconte qu’à 11 heures du soir, il se trouvait dans les rues de Petrograd lorsqu’un véhicule jeta devant lui un paquet de tracts annonçant la formation du nouveau gouvernement, Lénine en tête.
Moscou, par contre, connu dix jours de combats acharnés. La guerre civile qui devait durer jusqu’à 1921, venait de commencer, avec les mouvements menés par le général Denikine parti d’Ukraine, du général Wrangel dans le Sud, de l’amiral Koltchak dans l’Est.
Son récit est parsemé d’anecdotes de première main, source historique importante et souvent inédite, comme lorsqu’il révèle que c’est un simple marin de Cronstadt, de garde à l’Assemblée constituante qui provoqua sa destitution, une nuit, en évacuant la salle car le corps de garde était fatigué.
Dès lors, les thèses bolcheviks vont être mises en pratique. L’élite, le gouvernement dit « ouvrier » va exercer la dictature du prolétariat. Lénine, en véritable dictateur, bravant l’opinion des masses et de ses propres camarades partisans d’abandonner le front, accepta la paix offerte. La « dictature du prolétariat » l’emporta sur le prolétariat. Le gouvernement étatisa tout, jusqu’à la parole et la pensée. Le capitalisme d’État devint le système politique, économique, financier et social en URSS. La prétendue industrialisation du pays aboutit à quelques érections et constructions impraticables et inutiles. Le fameux « plan quinquennal » s’effondra en une faillite ahurissante. La prétendue « collectivisation » étatiste de l’agriculture n’était qu’une immense entreprise de servage militarisé.
La condamnation de Voline est sans appel. Il répète qu’il ne faut pas confondre révolution sociale et bolchévisme. Pour lui, plus les difficultés étaient grandes plus il fallait, justement recourir à la libre initiative. « Non, Lénine et des camarades ne furent jamais des révolutionnaires. Ils ne furent que des réformistes quelques peu brutaux qui, en vrais réformistes recoururent toujours à de vieilles méthodes bourgeoises. »
Il s’en prend également à quelques « légendes », affirmant que dans toutes les offensives contre-révolutionnaires importantes, l’Armée rouge était en déroute. C’est le peuple en révolte et partiellement en arme qui battait les Blancs. Il raconte le soulèvement de Cronstadt en 1921 et l’atrocité de la répression, le mouvement makhnoviste en Ukraine, lutte désintéressée, héroïque et inégale pour la vraie révolution sociale intégrale, antiétatiste et antiautoritaire auquel il participa également.

En conclusion, Voline affirme sa conviction que la révolution russe de 1917 n’est pas un événement isolé historiquement ou nationalement mais un processus social d’envergure mondial qui vient seulement de commencer. Le monde actuel est entré dans l’époque de la grande révolution sociale mais se trouve seulement au début de sa période destructrice. Le bolchevisme représente une expérience négative. Le pouvoir ne se maintient qu’à l’aide d’une terreur policière, d’une tromperie, d’une démagogie inouïe et d’une violence armée sans précédent. Il appelle en premier lieu à détruire le préjugé autoritaire et étatiste.


Il explique beaucoup plus en détail que nous ne l’avons rapporté, l’évolution des différents rapports de force, notamment des mouvements anarchistes.
Son exposé, très personnel, doit être lu car il dénote de la plupart des récits habituels.
En cette année anniversaire, cette nouvelle publication d’une analyse lucide de l’échec du socialiste autoritaire, s’imposait.



LA RÉVOLUTION RUSSE
Suivi de LE FASCISME ROUGE
Voline
230 pages – 10 euros
Éditions Libertalia – Paris – Avril 2017
Première publication comme article de L'Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure (1925 à 1934)

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