23 octobre 2017

MERCY, MARY, PATTY

Patricia Hearst, héritière américaine enlevée le 4 février 1974 par un groupe révolutionnaire, l’Armée de Libération Symbionaise (SLA), dont elle épouse la cause, prenant les armes aux côtés de ses ravisseurs. Une histoire romanesque comme on aime les raconter, faute d’avoir pu l’inventer.
 
Lola Lafon a choisi d’organiser une histoire-cadre à son récit, pour le passer au prisme d’un double regard et déployer toute sa complexité. Gene Neveva, enseignante américaine dans un collège privé d’une petite ville sur la côte atlantique française, a été embauchée par les avocats de la défense de Patricia Hearst, en raison de ses engagements passés et du sujet de ses recherches universitaires : les prisonnières américaines qui refusèrent ensuite de quitter les indiens, au temps de la conquête de l’ouest, ne se considérant pas comme prisonnières. Pour l’aider à dépouiller les documents du dossier, elle recrute une jeune fille, de l’âge de l’accusée, qui ignore tout de l’affaire. Lola Lafon pousse son dispositif narratif encore plus loin puisqu’elle confie à une jeune fille née bien après ces événements, le récit de tout ceci.
Elles vont devoir « trancher qui est la vraie Patricia, une marxiste terroriste, une étudiante paumée, une authentique révolutionnaire, une pauvre petite fille riche, héritière à la dérive, une personnalité banale et vide qui a embrassé une cause au hasard, un zombie manipulé, une jeune fille en colère qui tient l’Amérique dans le viseur. »

La revendication du groupe exige que le père de Patricia offre 70 dollars de nourriture à toute personne en possession d’une carte de chômeur, handicapé, vétéran, ex-prisonnier… en Californie. Ils sont 4,7 millions. Grâce à la SLA l’Amérique découvre ses pauvres. Les associations caritatives applaudissent. Il trichera et ne dépensera qu’à peine un dollar par personne. Patricia comprend rapidement ce qu’appartenir à la classe dominante signifie. Elle rejoint la lutte et se renomme de Tania, « en hommage à une camarade de lutte qui a combattu aux côtés du Che en Bolivie ». Les autorités, craignant la contagion, avance la thèse du lavage de cerveau. En vain. Les tee-shirts dans les lycées et les palissades se couvrent de « We love you Tania ». « Prenez ça dans vos vies congelées, on t’aime Tania, nous non plus on ne se rendra pas aux évidences rances, terminé l’équarrissage que subissent nos désirs hésitants, cette phrase avec laquelle on crucifie la moindre de nos échappées, ce conseil qui clôture chaque conversation familiale : sois un peu réaliste ! » « L’Amérique subit une violente attaque et ce sont ses propres enfants qui la mettent en joue. » Dès lors, difficile de découvrir des indices de son innocence pour lui éviter la prison à sa « libération ». Est-ce que l’explication de la rapidité de sa conversion se trouve dans son éducation, entraînée à se conformer aux règlements des gouvernantes et des pensions religieuses ?

L’offensive de la police, le 17 mai 1974, offre à la SLA de nouveaux partisans. 600 policiers tirent 9 000 balles sans sommation sur les chambres d’hôtel où est caché le groupe. Des milliers de personnes suivront leur cercueil en scandant « SLA FOR EVER ».


Cet épisode de l’histoire américaine qu’elle aimerait bien faire oublier, intrigue et fascine encore. Avec son écriture délicate et sensible, Lola Lafon explore tous les aspects de la personnalité de Patricia-Tania Hearst, décortique ses déclarations et ses actes. En multipliant et croisant les regards, elle réussit à saisir toute sa complexité et à faire résonner le séisme quelle provoqua. Le jeu des points de vue étalés sur la durée élargit la réflexion jusqu’aux adolescentes qui portent le voile aujourd’hui et que nous décrétons prisonnières et manipulées. Ne sont-elles pas plutôt, certaines, des punks à leur manière ?

Semez la subversion : offrez ce roman à Noël !



MERCY, MARY, PATTY
Lola Lafon
242 pages – 19,80 euros
Éditions Actes Sud – Collection « Domaine français » – Arles – Août 2017

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